PEPS - La contribution 2015
L’écologie est l’avenir du socialisme ?
CHICHE !
Le président de la République entend faire de la transition écologique l’axe de la 2ème partie de son quinquennat.
La Déclaration de principe du PS, la Charte issue des Etats-Généraux, mettent l’éco-socialisme au cœur de notre projet politique.
Fort bien.
Et maintenant, si on passait aux actes ?
Parce que nous sommes socialistes…
• nous affirmons que l’économie doit progresser pour pouvoir subvenir aux besoins de chacun. (mais quels besoins ?) ;
• nous voulons un emploi pour tous. (Mais avec quel modèle de croissance ?) ;
• notre foi dans le Progrès est inébranlable. (Mais quel Progrès ?) ;
• nous sommes internationalistes. (Mais l’Internationale ouvrière d’aujourd’hui, c’est l’Internationale écologique !) ;
• nous sommes confiants dans la capacité de notre parti de se réinventer (pour faire face aux enjeux de l’éco-socialisme).
• Nous affirmons que l’économie doit progresser pour pouvoir subvenir aux besoins de chacun…
Pour tendre vers l’objectif « à chacun selon ses besoins », le socialisme prône la redistribution des richesses. Encore faut-il s’entendre sur les termes de « besoins » et « richesses». Si nous avons pu jusqu’ici différer cette clarification, c’est parce que nous pensions – à tort !- que la croissance de la production et de la consommation de biens matériels conduirait mécaniquement à la satisfaction de tous sans priver personne.
Nous percevons aujourd’hui les limites de ce raisonnement, pour deux raisons :
- Les plus pauvres de notre société disposent aujourd’hui de plus de biens et de facilités matériels que les classes moyennes de la génération précédente (voitures, électro - ménager, informatique, etc). Qui oserait pourtant affirmer que leurs besoins sont assouvis ?
La frénésie matérielle impulsée par les lois du marché nous conduit aujourd’hui à des impasses sociales, démocratiques, et économiques. Posséder la dernière version d’un produit n’apaise en rien la frustration sociale de celui qui le possède, et encore moins celle des classes paupérisées de la société à qui l’utopie consumériste n’offre pas plus qu’aux autres des lendemains qui chantent. Il suffit d’entendre la détresse sociale qui s’exprime dans les quartiers défavorisés de nos sociétés pour s’en convaincre.
- La compétition sans cesse accrue pour l’accès à des ressources sans cesse plus rares interdit de penser que l’on pourra demain accroître la production comme on l’a fait hier.
Si nous voulons que l’économie subvienne aux besoins de chacun, il est clair que nous devons entendre les « besoins » dans un sens étendu : besoins matériels de base (se nourrir, se soigner, se loger, se chauffer, aller et venir, vivre en sécurité…), mais aussi besoins immatériels, culturels, relationnels, voire spirituels.
Il est clair aussi que la notion de « besoin » est relative, et que la frénésie de consommation matérielle est alimentée par l’accroissement des inégalités (à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale), qui génère un sentiment de « pourquoi pas moi ? » que l’on peut comprendre à défaut de légitimer, quand 1 % de la population de la planète en possède 50 % des richesses !
Le projet socialiste devra assurer la satisfaction des besoins de tous en jouant sur deux leviers :
- la réduction des inégalités de revenus ;
- la pédagogie d’une société de la sobriété heureuse, d’une société de l’intelligence où la satisfaction des besoins immatériels qui, elle, ne se heurte à aucune limite physique, compterait autant que le « toujours plus » matériel.
De nouvelles formes d’économie apparaissent où la valeur d’usage prime sur la propriété : économie circulaire, économie de la fonctionnalité , économie collaborative, du partage… Ces nouveaux concepts sont favorisés par l’émergence des réseaux sociaux. Le développement de l’auto - partage, des vélos et des autos en libre service, du co - voiturage, montre qu’il n’est pas inéluctable de posséder deux voitures (ou plus) par foyer pour assurer à chacun la liberté de se déplacer comme il le souhaite !
• Nous voulons un emploi pour tous … Et nous sommes certains que c’est possible !
Parfaitement, un emploi pour tous ! « Donc, il faut de la croissance », ajoutera l’économiste pavlovien…
Il faudra que l’économiste pavlovien entende quatre observations que chacun peut faire :
- Les dernières années de croissance forte que l’Europe a connues n’ont pas vu la situation de l’emploi s’améliorer, au contraire : la croissance du PIB était générée par des gains de productivité et par des délocalisations.
- L’idée que pour produire, il faut et il suffit de disposer de capital d’une part, de travail d’autre part, est obsolète. A cette économie binaire se substitue un triptyque capital – travail -ressources. Si la composante « ressources » n’entrait pas jusque là dans l’équation, c’est qu’elle a été réputée inépuisable, donc sans valeur. On voit aujourd’hui à l’échelle mondiale comme à l’échelle nationale que les ressources (eau potable, terres cultivables, potentiel carbone, terres rares, etc) sont en quantités finies, et qu’elles sont –et seront toujours plus- le facteur limitant de la croissance. La consommation des ressources mondiales a doublé en 40 ans, alors que la population n’a pas suivi ce rythme. A l’enjeu démographique qui prévoit 10 milliards d’individus sur notre planète là où nous ne sommes actuellement « que » 7 milliards, s’oppose la quantité de ressources disponibles : le plomb qui sert à la fabrication automobile sera tari vers 2030, le phosphore, composant des engrais agricole en 2025, et le pétrole et le gaz respectivement en 2050 et 2072 .
- Par bonheur, le lien mécanique croissance = emploi est une farce ! Un exemple : une machine à laver est garantie un an (parfois deux), et dure environ cinq ans. Changer de machine à laver améliore le PIB (donc génère de la croissance), mais ne crée pas d’emploi (ou alors à Taïwan). Un parc de machines à laver qui durerait vingt ans ne générerait pas de PIB (pas de croissance…) mais créerait des emplois de maintenance, non délocalisables.
La lutte (par la fiscalité) contre l’obsolescence programmée est une source d’emplois sans croissance. Elle permettra en outre d’acheter moins d’objets manufacturés, et moins à l’étranger, favorisant ainsi la balance commerciale française (qui en a bien besoin !). Elle permettra aussi de restaurer la compétitivité des objets manufacturés produits sur notre territoire, avec nos standards sociaux et environnementaux, par rapport aux objets issus de la délocalisation des industries, et produits au mépris des droits et de la santé des travailleurs, et des plus élémentaires mesures environnementales. C’est là un élément de réponse à la question de la ré – industrialisation de notre pays, et la base d’une politique industrielle nouvelle basée sur des filières industrielles concernant par exemple les énergies renouvelables ou l’économie circulaire, mais aussi tenant compte et associant les multiples initiatives de productions locales organisées en réseaux.
De même, un modèle agricole substituant à des productions industrielles intenses en intrants chimiques et en énergie des productions paysannes à circuit court, plus intenses en main d’œuvre, crée de l’emploi sans générer de croissance ! Il présente en outre l’avantage de mieux préserver la santé publique, et d’améliorer ainsi les comptes sociaux.
- Le PIB est le pire outil de mesure du bien-fondé d’une économie. C’est un thermomètre qui monte quand la fièvre augmente… et qui continue de monter quand elle diminue ! Polluer améliore le PIB, dépolluer aussi ! Les accidents de voiture contribuent à la croissance du PIB, les marées noires aussi ! Dans la foulée du rapport Stiglitz, il faut d’urgence adopter d’autres outils de mesure que cet instrument pervers et ultra-libéral par nature !
Bien sûr, des emplois de l’économie traditionnelle seront progressivement supprimés et remplacés par les emplois de la nouvelle économie et par les emplois induits par de nouveaux besoins de réparation, de prévention, de soins, de qualité des produits… Parmi ceux-ci, il faut mentionner le formidable gisement d’emplois que constituerait un plan massif d’investissement, à l’échelle de l’Union européenne, dans l’indépendance énergétique de nos territoires. Par la réhabilitation écologique du parc bâti, par le transfert massif de la production d’énergie vers des sources renouvelables, par l’adoption d’une stratégie nationale de la mobilité, par un redéploiement de l’aménagement du territoire, nous contribuerons, là encore, à améliorer notre balance commerciale, à créer des emplois non-délocalisables, et à accroître la marge de manœuvre diplomatique de la France et de l’Europe, aujourd’hui contrainte par notre dépendance énergétique.
Le partage du temps de travail et le développement d’activités écologiquement soutenables et socialement utiles et désirables peuvent créer des emplois avec un solde positif par rapport à l’ancienne économie.
On le voit : agir pour le climat, pour les ressources, est un choix politique à bénéfices multiples : économiques, sociaux et environnementaux, et permettant de tendre vers plus que qualité de la vie, de solidarité entre les générations et de cohésion sociale. Dans ce modèle de développement, la prospérité est décorrélée de l’idée de croissance.
• Notre foi dans le Progrès est inébranlable…
Pour que demain soit meilleur, il ne pourra en aucun cas ressembler à « hier en mieux » ! Ce n’est pas en améliorant la technologie de la lampe à huile qu’on a inventé l’ampoule électrique, ni en améliorant la monarchie qu’on a inventé la République ! Le progrès n’est pas linéaire, il fonctionne par ruptures, mutations, essais - erreurs, parenthèses ouvertes puis refermées. Le progrès auquel nous sommes attachés ne se réduit pas à l’innovation technologique !
Nous ne pouvons pas aujourd’hui penser le progrès sans intégrer les mutations de la société liées au changement climatique et au juste partage des ressources avec les plus démunis.
Le progrès n’a de sens que s’il permet l’amélioration durable du vivre ensemble, et s’il est capable de résoudre plus de maux qu’il n’en cause. Comment alors considérer la frénésie technologique comme émancipatrice si elle va de pair avec un individualisme dévastateur et prédateur de nos valeurs ?
Nous devons considérer le progrès comme global, et cela sur tous les champs de la connaissance et de la création : scientifique, sociologique (en favorisant les expérimentations), culturel, institutionnel (les formes de la démocratie ne peuvent être figées, elles doivent sans cesse se réinventer), économique (les circuits économiques et les modes de production inventés au XXème siècle sont en grande partie obsolètes aujourd’hui). L’innovation technologique n’est qu’un élément de ce progrès-là, elle ne le résume pas !
Le principe de précaution vaut bien mieux que les déformations de ses détracteurs qui le considèrent comme un principe de « réaction » ou d’interdiction, un frein au progrès, à la recherche ou à la connaissance. Au contraire, il met en débat l’acceptabilité du risque, fondée sur son estimation, son champ d’application, sur la durée et l’étendue des mesures restrictives envisagées et la nécessité d’engager les travaux nécessaires pour améliorer le champ de la connaissance. Il permet de fonder des réponses appropriées au plus grand nombre de questions possibles posées par les transformations technologiques. C’est avant tout un levier pour la recherche, une puissante incitation à l’innovation et au développement des éco industries.
La prudence à l'égard des innovations technologiques incessantes est également de mise sur le plan sanitaire : le besoin de croissance a souvent fait passer, depuis plus de 50 ans, les intérêts de l'économie avant le principe de précaution et les intérêts de la santé publique.
Il ne suffit pas de décréter le progrès, il faut le mettre en œuvre par une action politique volontaire, concertée, programmée et évaluée en impliquant les citoyens. Ce progrès repose sur une vision écologique et systémique, qui nous interroge sur nos valeurs profondes. En somme il s’agit de cheviller à la notion de progrès technique celle du projet social.
Plutôt que de rupture par quelques uns, individus ou pays, il s’agit d’un « pas collectif », lent, progressif, réfléchi et partagé, démocratique. Le progrès ne se mesure pas à l’intensité capitalistique et matérielle (mesurée par le PIB) dans un monde fini, ni dans les flux infinis des données échangées, il se mesure à l’aune du changement social !
• Nous sommes internationalistes !
Le mur écologique auquel se heurte notre modèle économique n’est pas national, il est planétaire ! Au nom de quelle morale socialiste pourrions-nous interdire à 7 milliards d’humains d’adopter nos standards de consommation ? Tout le monde sait pourtant que cela n’est physiquement pas possible et le cas récent des brouillards de pollution chinois illustre le lourd bilan sanitaire qui en découlerait.
Pour faire avancer les mentalités et les modèles économiques à l’échelle du monde, nous pensons que le cadre européen constitue un levier indispensable. C’est le modèle européen que nous avons tenté d’exporter aux siècles précédents, c’est ce modèle qui constitue aujourd’hui encore une référence pour nombre de peuples de la planète. C’est bien l’Europe qui nous permettra de proposer au monde d’autres voies de développement. Résolument européens, nous pensons qu’il faut d’urgence réorienter les politiques communautaires, les libérer de la toute-puissance de la finance et du court - termisme, et envisager un modèle européen innovant, sobre en consommations matérielles, riche en consommations immatérielles et en bien-être pour les citoyens.
C’est à l’échelle européenne qu’il faut penser et mettre en œuvre les transitions que nous devrons conduire, à commencer par la transition énergétique et la transition agricole, qui appellent l’une et l’autre des grands projets transfrontaliers créateurs d’activité et porteurs d’avenir. L'Europe s'est bâtie sur le charbon et l'acier, elle doit se relancer par la conversion écologique de l'économie. A quand un Airbus des énergies renouvelables ? A quand un réseau européen de mutualisation et de distribution de l’énergie . A quand une Politique agricole commune qui favorise vigoureusement les circuits courts et l’agriculture biologique, l’installation de jeunes agriculteurs et la limitation de la taille des exploitations ?
Pour cela, le parti socialiste doit tenir toute sa place au sein de l’Internationale socialiste…écologique.
• Nous sommes confiants dans la capacité de notre parti de se réinventer.
Nous sommes les héritiers d’une histoire riche, au long de laquelle notre parti a su adapter sa doctrine aux réalités de la société de son temps, sans jamais se renier. Des luttes syndicales au combat pour une laïcité accueillante et généreuse, des conquêtes sociales de 1936 à celles de 1981, de 1997 et d’aujourd’hui, nos prédécesseurs ont toujours apporté une réponse socialiste aux défis que lance sans relâche un capitalisme qui se réinvente sans cesse.
Aujourd’hui nous devons être à la hauteur de cet héritage et apporter notre réponse et nos solutions socialistes à l’impératif de la gestion du bien collectif dans un monde dont les ressources ne sont pas infinies.
Pour cela, nous devons abandonner nos modes de pensée forgés au siècle dernier (celui de l’illusion de l’abondance infinie), et concevoir un modèle social sobre en consommations physiques et protecteur de la biodiversité. Nous devons cesser de sous-traiter à d’autres la question du développement durable mais définitivement la revendiquer comme une vision socialiste de l’Histoire ! Ancrée dans les valeurs d’égalité et de justice sociale, la social-écologie réactualise le socialisme ! Cela implique d’investir dans la formation de nos militants et de nos élus, dans la conception d’outils de débat et d’information propres à notre parti.
De même, nous devons concevoir des stratégies de conquête et surtout d’exercice du pouvoir qui nous permettent d’atteindre les objectifs que nous nous fixerons dans ce domaine, tout en sachant passer avec la société civile les compromis inhérents au fonctionnement d’une société démocratique, notamment dans le rythme et la méthode des transitions à conduire.
C’est à ce prix que notre parti retrouvera plus de cohérence dans le discours politique, et que nous saurons retrouver l’écoute des plus précaires de notre société, aujourd’hui tentés d’entendre des discours ravageurs, et leur proposer la perspective d’un avenir désirable.
Le rôle de notre parti est de répondre aux défis du court-terme, mais aussi d’anticiper les évolutions de notre société à quinze ou vingt ans. Le Parti socialiste est fort quand il sait être visionnaire, il perd son âme quand il se veut étroitement gestionnaire.
Les événements tragiques du début de cette année ont montré que les catastrophes annoncées finissent parfois par se produire, faute d’avoir su entendre les messages des lanceurs d’alerte. Faudra-t-il attendre une catastrophe écologique majeure et destructrice pour engager des mutations qui, de toute façon, finiront par s’imposer à nous ? Ou saurons-nous tirer parti des contraintes nouvelles pour faire que demain soit meilleur qu’aujourd’hui ?
Pour « changer la vie », comme nous le promettions en 1981 !
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